La question de la forclusion et de la prescription est, en droit, primordiale. Le droit de la construction ne fait pas exception à la règle.
Leurs conséquences peuvent sembler identiques, puisque l’écoulement du délai aboutit à l’impossibilité d’intenter une action en justice. Néanmoins, leurs régimes, et notamment leurs causes de suspension ou d’interruption, diffèrent résolument.
La Cour de cassation suggère, dans son rapport annuel 2021, publié le 28 juillet 2022, certaines modifications législatives.
Précisément, la troisième chambre civile propose d’harmoniser les causes d’interruption et de suspension des délais de forclusion et de prescription.
Définitions et dinstinction de la forclusion et la prescription :
La prescription s’entend de l’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain temps. (article 2219 du code civil).
Or, le code civil ne donne pas de définition du délai de forclusion. La doctrine le définit comme « un délai légal, d’une durée simple et limitée, prévu spécifiquement pour une action particulière, au-delà duquel l’action est considérée comme éteinte ». (S. Guinchard, C. Chainais et F. Ferrand, Procédure civile, Dalloz, 32e éd., 2014, § 173).
La Cour de cassation a jugé qu’après réception, le délai dont dispose le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage pour agir en responsabilité ou garantie est un délai de forclusion et non un délai de prescription. Elle ajoute : « Parce qu’il revêt un caractère de mise à l’épreuve de l’ouvrage ».
Il en va de même pour les autres garanties des constructeurs (biennale, parfait achèvement).
L’enjeu est important, notamment depuis la réforme du 17 juin 2008 sur la prescription. En effet, l’article 2220 du code civil prévoit désormais que les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par les articles relatifs à la prescription extinctive.
Par exemple, la forclusion peut être interrompue par une assignation en justice, même en référé (article 2241 du code civil) et une mesure conservatoire ou un acte d’exécution forcée (article 2444).
En revanche, le délai de forclusion n’est pas, en principe, susceptible d’être suspendu ou interrompu par les causes issues des articles 2239 et 2240 du code civil.
Propositions de la Cour de cassation :
Pour rappel, selon l’article 2239 du code civil, la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès.
Ici, la distinction n’est pas sans incidence. Le contentieux du droit de la construction est un des domaines privilégiés du référé-expertise (mesure d’instruction par excellence).
La complexité technique des opérations d’expertise est amplifiée par la multiplication des intervenants. Cela explique que, fréquemment, les rapports d’expertise soient déposés des années après la désignation de l’expert.
Ainsi, la Cour considère, à juste titre, que le temps de l’expertise doit être une parenthèse procédurale.
Elle ajoute : « admettre l’application de l’effet suspensif de l’article 2239 du code civil aux actions engagées, après réception, par les maîtres de l’ouvrage ou les acquéreurs, permettrait, notamment pour les brefs délais, d’éviter des actions au fond prématurées, voire inadaptées, faute de connaissance des conclusions du rapport d’expertise« .
L’article 2240 prévoit une cause d’interruption tirée de la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait.
En pratique, la Cour indique qu’il n’est pas rare qu’en fin de délai d’épreuve, le constructeur s’engage à réparer des désordres dont il se reconnaît responsable. Cette affirmation est discutable en pratique, précisément. Néanmoins, il est logique, pour la Cour, dans cette hypothèse, que le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur bénéficie des dispositions de l’article 2240 et reporte l’éventualité d’un procès.
La Cour avait déjà eu l’occasion de se prononcer en ce sens concernant la reconnaissance de responsabilité. Elle avait estimé qu’elle n’était pas interruptive du délai de forclusion défini à l’article 1792-4-3 du code civil. (Cass. 3e civ., 10 juin 2021, n° 20-16837).
Cette proposition s’inscrit ainsi dans la droite lignée de ses décisions tendant à l’harmonisation.
Vers un nouvel article 1792-8 ?
Aussi, dans un souci de simplification et de sécurité juridique, la troisième chambre civile propose d’insérer un article 1792-8. Celui-ci disposerait que « Les causes de suspension et d’interruption de la prescription respectivement prévues aux articles 2239 et 2240 s’appliquent aux délais de forclusion prévus aux articles 1792-3, 1792-4-1 à 1792-4-3 et 1792-6 ».
La direction des affaires civiles et du sceau est favorable à cette proposition. Elle précise, toutefois, qu’une telle modification requiert une expertise plus approfondie sur ses éventuelles incidences. Cette expertise pourrait être menée dans le cadre du projet de réforme des contrats spéciaux.
Rapport annuel 2021 de la Cour de cassation
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